Si Donkin Léppi s’impose désormais comme un rendez-vous culturel majeur en Guinée, ses retombées économiques profitent surtout aux commerçants et promoteurs.
Le rituel est désormais le même ! À chaque fête de Tabaski, une vague de tissus “léppi”, teintés d’indigo inonde les rues, les marchés et les réseaux sociaux en Guinée et dans la diaspora. Le concept de « Donkin Léppi », lancé par divers acteurs (conservateurs culturels, commerçants passionnés, etc.) s’est imposé comme un rendez-vous incontournable pour célébrer le patrimoine vestimentaire national.
Le Léppi, ce tissu traditionnel fabriqué artisanalement à partir de coton local, est bien plus qu’un simple vêtement. Il incarne une identité culturelle peule forte, un héritage ancestral préservé et promu à travers cette initiative qui fait son chemin et gagne en popularité. Chaque année, à l’approche de la Tabaski, « Donkin Léppi » ressuscite. L’objectif : inciter les Guinéens, particulièrement les Peuls originaires du Fouta Djallon, où qu’ils soient dans le monde, à s’habiller en tenues traditionnelles leppi, conçues localement.
Une reconnaissance identitaire forte
Récemment, le léppi a été labellisé par l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI). Une évolution qui a renforcé cette dynamique de reconnaissance identitaire. Pour Fatimatou Diari Diallo, vendeuse de léppi au détail à Conakry, cette reconnaissance est une consécration. « Aujourd’hui, quand on parle du léppi, on pense automatiquement à la Guinée. C’est une fierté nationale. Ce tissu nous appartient, il nous identifie », affirme-t-elle avec enthousiasme.
Une demande exponentielle… et des prix à la hausse
A mesure que le tissu gagne en popularité, les prix connaissent une envolée, notamment durant la période de « Donkin Léppi ». Une réalité que justifie la commerçante. « Le léppi est fait à la main, avec des techniques très traditionnelles. Nous l’achetons cher auprès des artisans, donc il est normal que les prix augmentent légèrement pour que nous puissions en tirer un petit bénéfice », explique la jeune dame.
Cette attractivité profite-t-elle à tous les acteurs de la chaîne ?

Hady Diallo
Nous avons essayé de le vérifier. Et selon les avis recueillis sur le sujet par IdimiJam.com, cette forte demande profite aux commerçants. Mais tous les acteurs de la chaîne ne s’y retrouvent pas. Dans l’ombre des festivités, les artisans – véritables créateurs de valeur – peinent souvent à tirer leur épingle du jeu.
Hady Diallo, confectionneur de “puutô”, les bonnets traditionnels peuls, qui portent merveilleusement bien avec le léppi, se dit partagé. « Donkin léppi nous permet de vendre en grande quantité, surtout pendant la fête. Mais nous ne sommes pas associés à l’organisation. On travaille seul, souvent sans partenaires. Un puutô peut nous prendre une journée de travail, et pour les modèles haut de gamme, jusqu’à deux semaines », révèle-t-il.
Pour l’artisan, ce sont surtout les initiateurs de l’événement et les distributeurs dans les marchés qui tirent le plus de bénéfices.
Entre pénurie et spéculation
À l’approche de la fête, les boutiques se remplissent de clients pressés. Les stocks s’écoulent rapidement. « Il m’arrive de vendre jusqu’à vingt bonnets par jour pendant cette période », confie Hady Diallo. Face à la pénurie, certains vendeurs font flamber les prix. Lui dit refuser cette pratique. « Mes puutô se vendent de 80 000 à 700 000 francs guinéens, selon la qualité. Et je maintiens ces prix même quand la demande explose », assure-t-il.
Fatimatou Diari Diallo reconnaît également cette flambée : « Quand le léppi commence à manquer, les prix augmentent forcément. Nous aussi, on subit la hausse en amont. Donc, on le répercute en aval ».
Le rôle crucial des centres de formation
L’Office national de la promotion de l’artisanat (ONPA) apporte un appui aux acteurs de la filière, à travers des formations et des espaces d’exposition lors des foires.
À Labé, dans les ateliers du Centre d’appui à l’entrepreneuriat féminin (CAEF), les jeunes artisanes perpétuent la tradition. Mais Mariam souligne les limites du soutien étatique. « Le gouvernement ne nous finance pas directement. Il a mis à disposition le centre, mais nous achetons nous-mêmes nos matériaux. Heureusement, certaines structures privées nous aident parfois à produire en quantité », explique l’ancienne élève du centre.
Un levier culturel et économique pour la Guinée
Au-delà de la fête, ce type d’initiatives est un véritable moteur de valorisation culturelle et de dynamisation économique. Pour les artisans et les commerçants, c’est une occasion en or de mettre en lumière un savoir-faire ancestral tout en générant des revenus. « La valorisation du léppi est une belle initiative. Elle renforce notre identité, mais aussi elle crée un sentiment d’unité. Quand je vois des Guinéens, ici et à l’étranger, porter le léppi, je ressens une fierté immense », conclut Fatimatou Diari Diallo.
« Donkin Léppi », l’initiative de valorisation du précieux tissu peul, ne se résume pas à un simple événement folklorique. C’est une célébration du riche patrimoine culturel guinéen, un geste de résistance culturelle face à l’uniformisation des modes, et un levier concret de développement local.
Pourvu que les artisans, piliers de cette chaîne, puissent eux aussi pleinement bénéficier des retombées d’un engouement qu’ils contribuent chaque jour à faire vivre.
Alhassane Baldé