Photo d’illustration - ©UNICEF/UN052682/Romenzi
Dans l’ombre de la migration clandestine, un nouveau fléau émerge, aussi insidieux qu’inattendu : des jeunes, parfois partis pour de véritables aventures à hauts risques, simulent désormais leur propre enlèvement afin d’extorquer de l’argent à leurs proches restés au pays. Une escroquerie affective orchestrée avec méthode, souvent en complicité avec des tiers.
Ils sont nombreux, ces jeunes Guinéens qui, par malice ou désespoir, extorquent de l’argent à leurs familles en faisant croire qu’ils sont en danger à l’étranger. Le stratagème est souvent le même : ils prétendent avoir entamé un périple migratoire vers la Libye, en passant par Bamako puis Agadez — un itinéraire pourtant de moins en moins emprunté. D’autres se contentent de rester à Abidjan ou à Bamako, d’où ils assurent travailler pour des entreprises, parfois minières.
Mais lorsque les difficultés financières surviennent, certains recourent à des mises en scène macabres : se faire ligoter, simuler des blessures, se prendre en photo ou en vidéo dans des positions humiliantes, puis envoyer ces images à leurs parents avec des messages alarmants.
Les montants exigés varient, allant de 1 000 000 à 1 500 000 francs CFA, soit approximativement entre 15 et 22 millions de francs guinéens. Le but : se refaire une santé financière et, parfois, poursuivre leur projet migratoire, avec le soutien de complices bien informés.
Un scénario emprunté aux trafiquants
Ce procédé frauduleux n’est pas sans rappeler les méthodes utilisées par les passeurs en Libye au plus fort de la crise migratoire. À cette époque, de nombreux migrants subsahariens étaient enlevés, vendus, torturés, parfois même réduits à l’esclavage, contraints d’appeler leurs familles pour demander une rançon. « Ils nous obligeaient à appeler nos parents pour qu’ils envoient de l’argent afin d’être libérés. On nous brûlait avec du fer à béton chauffé au rouge, ou du plastique fondu qu’on versait sur notre dos. Ils filmaient tout et envoyaient les vidéos par WhatsApp ou Messenger à nos familles, en proférant des menaces de mort », témoigne Amadou, un jeune migrant rapatrié volontairement par l’OIM. « Mais aujourd’hui, la Libye est devenue difficile d’accès. Et la Tunisie représente désormais la principale route migratoire », ajoute-t-il.
Ces scénarios sont aujourd’hui instrumentalisés par certains jeunes en rupture de parcours. Après avoir volé de l’argent ou vendu des biens pour financer leur départ, ils se retrouvent coincés, sans ressources. C’est alors qu’ils simulent leur propre enlèvement, prétendant que des malfaiteurs réclament une rançon, sous peine de mort ou d’être « vendus au plus offrant ».
Un boulanger de Conakry raconte l’histoire de son neveu. « Il a prétendu être aux mains de ravisseurs. Il m’a envoyé des photos où il apparaissait ligoté et blessé. Sa mère, paniquée, a tout fait pour lui envoyer de l’argent, jusqu’à s’endetter. Plus tard, on a découvert qu’il avait tout inventé, avec l’aide de complices », se souvient-il, non sans colère.
Le piège des fausses promesses
Dans d’autres cas, la supercherie débute par un appel d’un ami, déjà à l’étranger, qui promet un emploi lucratif. Séduits, des jeunes quittent tout pour les rejoindre, souvent à Abidjan, Bamako ou même Accra, la capitale ghanéenne. Mais une fois sur place, ils découvrent qu’il n’existe ni entreprise, ni contrat de travail, seulement un réseau d’arnaque, souvent lié à des plateformes comme Qnet — une société de vente directe basée à Hong Kong, régulièrement citée dans des affaires d’escroquerie en Afrique de l’Ouest.
Karim, jeune étudiant, raconte : « Mon frère a rejoint un ami à Abidjan. Peu après, il nous a dit qu’il avait trouvé un emploi, mais qu’il fallait d’abord verser 10 millions de francs guinéens. Ne trouvant rien sur cette entreprise sur les réseaux sociaux, j’ai commencé à douter. Quand on a refusé de payer, il nous a dit qu’on allait recevoir des vidéos où il serait maltraité, afin de nous faire peur ».
Effectivement, deux semaines plus tard, la famille reçoit des vidéos macabres via un numéro malien : des scènes d’égorgement et des images montrant le jeune homme ligoté de manière suspecte. Paniquée, sa mère envoie 5 millions de francs guinéens, obtenus à crédit. Puis, face à l’aggravation de la situation financière, la famille coupe les ponts. Trois semaines après, il prétend s’être échappé.
L’arnaque aux « offres d’emploi »
Parmi les nouvelles techniques utilisées, certaines consistent à faire croire à l’existence d’opportunités d’emploi dans des sociétés minières à l’étranger. Le schéma est bien rôdé : une fois le jeune sur place, il est sommé de verser de l’argent pour sécuriser son embauche, puis d’en recruter d’autres. Ce fonctionnement pyramidal repose sur la tromperie et pousse certains à arnaquer leurs propres familles pour honorer leurs engagements. « Ils appellent cela “un envoie deux”. Si vous n’avez pas d’argent, ils vous disent d’appeler vos amis ou vos parents pour leur parler d’un emploi fictif. Quand l’arnaque ne fonctionne plus, certains simulent même un enlèvement pour obtenir une rançon », confie une victime.
L’histoire tragique de Benga* et Solo*
Benga* et Solo*, deux frères originaires de la préfecture de Faranah en Haute-Guinée, incarnent cette dérive tragique. Solo, agent de santé stagiaire, reçoit un appel alléchant : un “emploi bien rémunéré” l’attend à Conakry, puis en Sierra Leone. Il convainc son frère de l’accompagner. Une fois sur place, ils doivent verser 14 millions GNF pour obtenir le poste… et recruter d’autres jeunes.
Leur père, vieux cultivateur, vend alors ses bœufs et ses chèvres pour satisfaire leur demande. Quand ils réclament encore de l’argent pour une nouvelle étape du projet, il vend le reste de son cheptel. Face à l’échec manifeste du projet, il est victime d’un AVC. Paralysé pendant des mois, il finit par succomber. Aucun de ses fils n’a assisté à ses funérailles.
Une tendance préoccupante
Ces jeunes ne sont pas simplement des migrants bloqués ou des victimes d’arnaque : beaucoup deviennent eux-mêmes escrocs, exploitant l’émotion et la peur de leurs proches. Certains montent de toutes pièces un faux enlèvement en se cachant avec des amis. D’autres s’installent durablement dans des pays voisins pour organiser des arnaques à distance.
Ce phénomène, qui mêle désespoir, illusion migratoire et malhonnêteté, interpelle sur les nouvelles formes de dérive liées à la migration et à la précarité économique. En dépit des souffrances réelles que vivent nombre de migrants, certaines mises en scène ternissent la perception de leurs difficultés, et laissent les familles guinéennes dans la douleur, l’endettement et parfois le deuil.
Les noms marqués d’un astérisque ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes concernées.
Photo d’illustration - ©UNICEF/UN052682/Romenzi
Mohamed Diawara