Reboisement en Guinée : quels plants faut-il privilégier ?

Reboisement en Guinée : quels plants faut-il privilégier ?

En Guinée, l’ingénieur Pépé Guilavogui plaide pour privilégier les espèces endémiques au reboisement afin de protéger biodiversité et climat

La République de Guinée connaît régulièrement de nombreuses campagnes de reboisement. L’objectif est de lutter contre la déforestation, les effets du changement climatique et restaurer les nombreux hectares de terres détruits. Pendant ces campagnes, ce sont souvent des plantes exotiques à croissance rapide, comme le Gmelina (Gmelina arborea) et le Teck (Tectona grandis) qui sont généralement utilisées. Pourtant selon Pépé Guilavogui, ingénieur des Eaux, Forêts et Environnement, titulaire d’un Master II en Biodiversité et Développement Durable, ce choix n’est pas judicieux. Découvrez ses arguments dans cette interview qu’il a accordée à notre rédaction.

IdimiJam.com : Quel constat faites-vous à propos des plants souvent utilisés lors des campagnes de reboisement ? 

Pépé Guilavogui : En général, les plants qui sont utilisés pour le reboisement sont à majorité des plants exotiques, importés. Et moi, mon constat est alarmant concernant ces plantes parce que nous les utilisons à cause de leur croissance rapide. Ils peuvent coloniser rapidement ici une surface reboisée, à cause de leur bois (bois d’œuvre, bois de chauffe). Ces plantes étant très compétitives favorisent la perte des espèces locales en empêchant leur développement, en sécrétant des acides à travers leurs racines qui appauvrissent le sol, et en le rendant moins fertilisant. 

Pourtant, nous avons des espèces endémiques ici, aussi appelées espèces locales. Elles poussent naturellement sur notre territoire et ont une croissance rapide. Et ils jouent un rôle écologique très important sur le plan culturel et économique. Leur importance peut être résumée en plusieurs points. Ce sont par exemple le baobab (Adansonia digitata) et le fromager (Ceiba pentandra). Ces plantes jouent un rôle très important sur le plan écologique, économique et culturel.  

Selon vous, quels plants devraient être priorisés et pourquoi ?

Ce sont les plantes endémiques qui doivent être utilisées et priorisées pour la restauration lors des campagnes de reboisement. Parce que nos espèces animales consomment généralement les produits de nos espèces endémiques pour leur alimentation (fruits, graines, feuilles, tubercules, écorces et autres produits). Sur le plan écologique, elles enrichissent le sol et équilibrent les écosystèmes en favorisant la biodiversité. Plusieurs genres d’espèces végétales et animales trouvent leur habitat dans les forêts à formation locale. 

Parlant de la régulation environnementale, ces espèces s'adaptent facilement à notre sol et à notre climat, protègent les sols contre l’érosion hydrique et éolienne, elles régularisent le cycle de l’eau et le stockage du carbone en produisant de l’oxygène nécessaire à notre vie sur la terre. Elles luttent contre les inondations et les maladies, sont résilientes et résistantes face aux feux de brousse. Nous devons les protéger et les conserver car elles restent très vulnérables, occupant des portions de terre très petites sur notre territoire (les parcs nationaux, les forêts classées, les zones humides…). 

Sur le plan scientifique et économique, ces espèces nous servent de banques de gènes et sont sujet de recherches scientifiques attirant de nombreux professionnels dans notre pays. Ces espèces à part le bois (bois d’œuvre et bois de chauffe) qu’elles nous procurent nous donnent des produits forestiers non ligneux à savoir : l’huile de palme, le beurre de karité, le miel… Dans le domaine culturel, de la matière première pour la médecine traditionnelle, les forêts formées sont des lieux de festivités traditionnelles.

Que recommandez-vous alors ?

Nous recommandons fortement aux institutions étatiques, dont le ministère de l’Environnement, et aux ONG de vulgariser et prioriser les espèces endémiques, parce qu’elles sont efficaces pour lutter contre le réchauffement climatique, et elles poussent naturellement dans nos régions et nulle part ailleurs. Les espèces endémiques servent de nourriture pour nous et les animaux.

Il faut aussi sensibiliser les citoyens à grande échelle sur la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique, régulièrement mettre à jour la monographie nationale, rendre public et vulgariser les travaux de nos chercheurs, ainsi que mettre en place des réunions scientifiques sur la biodiversité.

Propos recueillis par Elisabeth Zézé Guilavogui